Analyse logique de la langue mathématique dans une perspective didactique
 
La notion de vecteur et la signification du verbe « représenter »

La notion de vecteur et la signification du verbe « représenter »

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Combien de vecteurs sont représentés sur le schéma suivant ?Combien de vecteurs sont représentés sur ce schéma ?

Certains élèves pourraient être tentés de répondre « sept », alors que mathématiquement parlant, il n’y en a que deux. En particulier, les segments orientés allant de A à B et de C à D représentent le même vecteur, ce qui est exprimé par l’égalité \overrightarrow{AB}=\overrightarrow{CD}. Il y a donc une distinction à faire entre les segments orientés (c’est-à-dire, en pratique, les « flèches ») et les vecteurs. Pour marquer cette distinction, nous pourrions dire des choses comme :

« attention, le segment orienté allant de A vers B n’est pas le vecteur \overrightarrow{AB} mais le représente »

en insistant sur le verbe « représente ». Que peut-on espérer faire comprendre avec une phrase de ce type ? Car le problème est qu’ici, le mot « représenter », qui existe déjà dans le langage courant, est implicitement utilisé dans un sens mathématique très particulier. Voyons quels sont les enjeux liés à l’usage du mot « représenter » dans ce contexte.

1. Le sens courant du verbe « représenter »

Dans les mathématiques scolaires, le verbe « représenter » est usuellement utilisé pour marquer une relation entre un signe (textuel ou graphique) et un objet mathématique. C’est le cas lorsque l’on dit, par exemple, que la lettre « \pi » représente le rapport constant entre le périmètre d’un cercle et son diamètre, ou encore qu’une ligne tracée sur une feuille représente une droite. Nous dirons ici que nous avons affaire à une représentation graphique((Nous incluons donc, dans ce que nous appelons des représentations graphiques, tant les figures géométriques que les représentations scripturales.)).

Cette notion de représentation constitue déjà un enjeu important. Par exemple, elle permet de donner un sens à une égalité arithmétique telle que

25 = (2+3)2

en disant que cette égalité marque le fait que les expressions « 25 » et « (2+3)2 » représentent (ou désignent) le même nombre – ce qui permettrait de se détacher d’une vision trop opératoire de l’égalité.

L’idée de représentation graphique peut aussi être mobilisée pour marquer le caractère abstrait des objets mathématiques en les distinguant de leurs représentations concrètes et imparfaites. Cela contribuerait à faire comprendre que seul un raisonnement (et non une observation empirique) permet de prouver un théorème.

Les choses sont pourtant bien différentes quand on parle de vecteurs.

2. Le sens géométrique du verbe « représenter »

Lorsqu’on dit qu’un segment orienté « représente » un vecteur, une tout autre acception du verbe est utilisée. En effet, un vecteur n’est pas une figure géométrique comme l’est un segment orienté ; en l’occurrence, il n’occupe pas de position dans le plan. Plutôt, un vecteur est la donnée d’une direction, d’un sens et d’une longueur. Mais ces caractéristiques peuvent se manifester sous la forme d’un segment orienté qui, lui, occupe bien une position dans le plan. Lorsque c’est le cas, on dit que ce segment orienté représente le vecteur, mais au sens où une figure géométrique (le segment orienté) rend visible des caractéristiques abstraites (celles qui caractérisent le vecteur).

La représentation dont il est ici question n’est plus une relation entre un signe et un objet, mais entre deux objets, l’un géométrique et visualisable (le segment orienté) et l’autre abstrait (le vecteur). Nous parlerons ici de représentation géométrique.

Ainsi, quand on montre du doigt une flèche tracée au tableau en disant qu’elle « représente » un vecteur, deux niveaux de représentation sont en jeu : la flèche représente graphiquement un segment orienté qui, à son tour, représente géométriquement le vecteur.

Les deux niveaux de représentation pour le concept de vecteur

Pour les élèves qui rencontrent la notion de vecteur, ce second sens du mot « représentation » est totalement inédit. Il provient du fait qu’un vecteur est, selon la définition usuelle, un ensemble de segments orientés équipollents((Rappelons que deux segments orientés sont dits équipollents s’ils ont la même direction, le même sens et la même longueur.)) et que tout élément de cet ensemble est appelé, dans le jargon technique, un « représentant » de ce vecteur. Cette approche, basée sur le concept abstrait de classe d’équivalence, était en vigueur durant la période des « mathématiques modernes ». Mais si les classes d’équivalence ont aujourd’hui quitté le programme, le concept de vecteur tel qu’il est actuellement présenté dans de nombreux manuels, ainsi que la terminologie associée, restent largement héritiers de cette approche historique, comme en témoignent les deux extraits suivants (les mises en forme sont d’origine) :

« Le vecteur \overrightarrow u est un ensemble de segments orientés possédant les mêmes caractéristiques : même direction, même sens et même longueur. »((J.-M. Danel, V. Demezel, Astro-math 4, Plantyn, Waterloo, 2011, p.~45.))

« Un vecteur \overrightarrow u est un ensemble de couples (A, A'), (B, B'), (C, C'), … qui définissent une même translation. […] Chaque couple, formé d’un point et de l’image de celui-ci par la translation, est un représentant du vecteur. »((I. t’Kindt-Demulder, F. Gérard, Actimath à l’infini 4 – Manuel (Statistique – Géométrie – Trigonométrie), Van In, Louvain-la-Neuve-Wommelgem, 2015, p.~183.))

Si l’enseignant ne prenait pas le temps de thématiser l’idée de représentation géométrique, les élèves risqueraient de prendre le verbe « représenter » dans son sens courant. Ils croiraient alors qu’un segment orienté représente un vecteur comme une ligne représente une droite. En pratique, un vecteur ne serait alors rien d’autre qu’une « flèche ». Dans le meilleur des cas, ils finiraient par comprendre qu’ils ont le « droit » de déplacer (par translation) les flèches à leur convenance, mais il ne s’agirait là que d’une règle pragmatique sans signification mathématique claire.

3. Une alternative à méditer : « manifester » au lieu de « représenter »

Au lieu d’ajouter un nouveau sens technique au verbe « représenter », il pourrait être intéressant de considérer le verbe « manifester » dont le sens courant pourrait déjà convenir :

Manifester, verbe transitif.

Faire ou laisser apparaître clairement. (Le Petit Robert, 2014.)

Rendre perceptible. (Larousse, 2018.)

Faire connaître quelque chose en lui donnant une apparence sensible, généralement visible. (Trésor de la Langue Française, 1994.)

Il est donc sensé de dire qu’un segment orienté manifeste une direction, un sens et une longueur et que, par conséquent, il est une manifestation, sous la forme d’une figure géométrique, du vecteur correspondant. On échapperait ainsi à l’habitude, mathématique et parfois malencontreuse, de « donner le même nom à des choses différentes » (Henri Poincaré).

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